La déportation dans nos oreilles

Pénélope Patrix in I/Ogazette, 16 Julho 2019 notícia online

Je me méfiais un peu d’assister à une adaptation du célèbre texte de Primo Levi, ce roman-témoignage sur la déportation des Juifs à Auschwitz, dont toute la force consiste justement à rendre problématique le simple geste d’écrire quand on a survécu à l’indicible (bien que Primo Levi ait lui-même collaboré à une première adaptation de son roman au théâtre, en 1966). Comment rendre cela sur scène, qui plus est aujourd’hui, et à plus forte raison au Portugal (resté neutre pendant la guerre et n’ayant donc pas le même rapport que les Italiens ou les Français à cet héritage) ? J’ai pourtant été convaincue par les choix dramaturgiques intelligents de Rogério de Carvalho, qui permettent de surmonter habilement ces écueils : d’abord, la sobriété de la scénographie – un plateau nu, encadré de panneaux de bois, qui font penser à une église ou à une grotte, sorte de cavité non-marquée qui engouffre et rejette simultanément le narrateur ; ensuite, la retenue mêlée d’ardeur du comédien, Cláudio da Silva, dont la performance monte en puissance pendant l’heure et demie que dure ce seul en scène. Ensemble, ces deux éléments de mise en scène construisent une dramaturgie de la voix, et transforment l’écriture de Levi en histoire orale – une histoire rendue actuelle, de toutes et tous, à raconter et rappeler sans cesse. Les dispositifs de déportation et de torture de la Seconde Guerre entrent alors en résonance avec certains mécanismes de détention et d’expulsion du monde contemporain, rendant le témoignage de Primo Levi, que son caractère de « classique » nous avait rendu, à force, presque distant, absolument vivant et essentiel.

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